« Lo Pilo »

Jeu traditionnel Niçois.

 

 

 

TABLE DES MATIERES

 

Le Pilo, jeu traditionnel niçois. 1

1 / Le Pilo. 1

1.1 / Définition. 1

1.2 / Règles du jeu. 3

1.3 / Les jeux proches. 9

2 / Historique. 11

2.1 / La légende du Pilo. 11

2.2 / La grande vogue. 12

2.3 / La renaissance. 13

3 / Le Pilo, un jeu Niçois. 14

3.1 / « Nissa La Bella », état des lieux. 14

3.2 / Lo pilo, un jeu Niçois. 16

3.3 / Analyse du jeu. 17

Annexes. 20

 

 

Le Pilo, jeu traditionnel niçois.

 

 

 

Avant toute analyse ou action, il paraît nécessaire de mieux cerner ce jeu, ses composantes, son histoire ainsi que ses fonctions, les valeurs qu’il véhicule et les représentations qu’il suscite. Ainsi, la connaissance, la maîtrise du « concept Pilo », permettra une meilleure exploitation de ses diverses potentialités.

 

 

1 / Le Pilo.

 

Le Pilo, en tant que jeu, possède des spécificités ludiques, destinées au divertissement, au loisir, à la détente. Comme tout jeu, il nécessite un matériel précis et possède un règlement, éléments indispensables quant à sa pratique. Fait très intéressant, le Pilo connaît de nombreux jeux similaires en France, en Europe et dans le Monde.

 

1.1 / Définition.

Dans un premier temps, il est essentiel de savoir ce qu’est ce jeu, ses composantes. Nous pourrons alors dors et déjà mieux cerner ses spécificités, les moyens qu’il requiert.

Etymologiquement, le nom de Pilou, en Niçois « Pilo » le « o » se prononçant « ou », provient directement de « pile », l’autre face de la pièce de monnaie. Plus précisément, l’origine est un autre jeu connu à Nice sous le nom de « Testa-pila ò Crotz-pila » ( Pile ou Face ), celui-ci nécessitant également une pièce de monnaie. Comme le définit Jean-Pierre BAQUIÉ dans son ouvrage « Les Anciens Jeux du Pays Niçois »[1], le Pilo est une sorte de volant comparable à celui du jeu de badminton. Il est réalisé par les enfants ou les adultes à l’aide d’une ancienne pièce de monnaie trouée de dix ou vingt-cinq centimes et d’un bout de papier léger servant à le diriger.

 

La pièce de monnaie[2].

Traditionnellement, à Nice, la pièce de monnaie la plus utilisée est celle de vingt-cinq centimes car elle est ni trop lourde, pour ne pas faire mal aux pieds et surtout aux genoux, ni trop légère, pour ne pas être emportée par le vent. Approuvée en 1903, ce n’est qu’en 1914 que sa fabrication à base de nickel fut réellement lancée. Celle-ci fut arrêtée seulement en 1942. Son diamètre est de 24 millimètres, son trou central de 6 millimètres et son épaisseur de 1.5 millimètres. On peut en acheter chez les numismates pour environ 1 Franc pièce. Parfois on utilise la pièce de 10 centimes, plus légère, elle vole moins bien. Son diamètre est de 21 millimètres, son trou central de 5 millimètres et son épaisseur de 1.2 millimètres. Cette pièce reste plus difficile à trouver aujourd’hui. La pièce de 5 centimes est rarement employée. Notons que le Pilo peut être fabriqué avec n’importe quelle rondelle trouée ou objet apparenté, du moment que celui-ci permet une pratique non-dénaturée du jeu.

 

 

Le volant.

A Nice, le volant est toujours réalisé en papier. Dans les années cinquante, le papier le plus en usage était le papier de toilette ordinaire. De couleur marron, il était un peu lisse au toucher et présentait l’avantage d’être toujours très résistant. Parfois, mais cela était très rare, il était possible d’obtenir un papier de boulanger. Quelques boulangeries de « luxe » commençaient à envelopper le pain de la sorte. Ce n’est que dans les années soixante que son usage se répandra plus largement. A la même époque, on commençait à recevoir les oranges d’Afrique du Sud, les fameuses « Outspan ». Elles étaient enveloppées dans un papier fin qui fut utilisé pour sa légèreté et sa meilleure tenue dans l’air. Aujourd’hui, ce sont les sacs en plastique de supermarchés qui sont découpés pour obtenir le volant. Ce matériau est à la fois léger et très résistant, conservant longtemps sa forme initiale, ce qui est primordial.

 

La confection du Pilo.

L’assemblage de ces deux matériaux composants un Pilo, soit une pièce et un volant, s’effectue, par les puristes, de manière assez précise. En effet, ils découpent le papier choisit suivant une figure géométrique de la forme et des dimensions décrites dans le schéma n°1.

 

 

Schéma n°1.

Le pliage se fait en croix à partir du centre de pliage ( schéma n°1 ). C’est ce même point de pliage qui est introduit dans le trou de la pièce. Autrefois, lorsqu’on utilisait du papier, on écrasait celui-ci sur le dessous, en l’écartant contre la pièce, le mieux possible, pour éviter la moindre épaisseur. Aujourd’hui, le plastique est légèrement fondu avec une allumette, sous la pièce, puis écrasé contre celle-ci. De la sorte, il constitue un véritable socle, adhérant formidablement bien à la pièce. Le Pilo est ainsi prêt à jouer, ses deux composantes étant totalement solidaires[3].

 

Ce jeu se veut simple, autant dans sa conception que dans les matériaux qu’il utilise, ce qui le rend très accessible et qui justifie sa place de jeu populaire, de « jeu de la rue ».

 

1.2 / Règles du jeu[4].

 

Une maîtrise des règles du jeu est primordiale quant à un développement de l’activité, tant sur le plan sportif que pédagogique.

Toutefois, il n’y avait pas, à l’origine, de règles précises ; le Pilo tournait et volait sans réelles contraintes, suivant l’inspiration et le bon vouloir des joueurs participants à l’échange. La priorité était alors au beau geste, à l’esthétique et à l’exploit technique, chacun faisant valoir de la plus belle manière son style. Ceci a d’ailleurs entraîné cette attitude quelque peu « macho », désinvolte qu’ont les joueurs de Pilo, sud oblige. Ainsi, aux débuts du Pilo, on jouait de trois manières :

 

La solitaire.

La partie se joue tout seul, « contre soi ». Le joueur jongle le plus longtemps possible avec le Pilo, sans le laisser tomber à terre. Chaque fois que le Pilo touche le corps, on compte un point. Les mains, les bras et les épaules sont interdits, comme au football. Le record officieux est de 1077 touchers en 17 minutes environ, performance accomplie, dit-on, par un habitant du Vieux-Nice, Georges Paez. Cette pratique du Pilo est à l’origine des concours de jonglage. Ceux-ci sont essentiellement pratiqués par les plus jeunes toujours soucieux d’innover, d’inventer de nouvelles « figures » et ainsi créer leur propre style, s’approprier en quelque sorte ce jeu. On peut citer ici quelques figures[5] :

 

-         La Sampada ( Zampada ).

-         L’Ala de Pito.

-         Lo Poncha Pen.

-         Le Còup de l’Ae.

 

La passe.

La partie se joue à deux ou à plusieurs. Les différents joueurs se passent le Pilo sans que celui-ci ne tombe à terre. Ils peuvent jongler autant de fois qu’ils le veulent au passage du Pilo. Certaines parties peuvent regrouper plus d’une dizaine de joueurs. On y joue pour le plaisir de se faire des passes et de montrer son adresse. On peut essayer de réaliser le plus de touchers.

La passe éliminatoire.

Le jeu se déroule comme pour la passe. Un grand nombre de joueurs, plus de dix, est recommandé. Celui qui ne peut rattraper le Pilo lors d’une passe entre deux joueurs est éliminé. Et ainsi de suite jusqu’au vainqueur, le dernier qui reste.

 

Puis, au fil des années, une règle s’est imposée de façon universelle, à Nice, comme une partie entre amis qui ne sont pas du même avis. Pour ce faire, pour donner « raison » à l’un ou à l’autre, le Pilo s’est agrémenté d’un règlement, celui-ci ne dénaturant en aucun cas ses valeurs originelles mais, bien au contraire, les enrichissants de par l’engagement et le rythme suscités.

 

Le véritable Pilo.

 

La pratique la plus fréquente se joue avec des cercles. Deux variantes existent : à un contre un ou à deux contre deux. Dans tous les cas, le Pilo est un sport de gentlemen et les règles sont discutées au préalable.

 

Le Pilo à deux.

On commence par tracer au sol, à la craie ou avec un bâton, une ligne médiane de 2 à 3 mètres délimitant chaque camp, puis à égale distance de celle-ci ( 2 pas environ ) deux cercles de même diamètre ( 1 mètre soit 1 pas environ ), comme indiqué sur le schéma n°2. Les joueurs jouent l’un contre l’autre. Ils essaient de faire tomber le Pilo dans le cercle de l’adversaire. Pour ce faire, les participants peuvent utiliser toutes les parties de leur corps à l’exception des mains et des bras. Le dépassement au sol de la ligne médiane constitue une faute, par contre il est autorisé dans l’espace. Une fois à terre, le Pilo est ramassé par le joueur qui l’a dans son camp. Celui-ci l’envoie à la main à son adversaire. Notons ici l’intérêt que le Pilo reste avant tout un jeu basé sur le plaisir et l’amusement, le fait de mal lancer le Pilo à l’engagement, pour gagner, entraînant l’impraticabilité du jeu. Il n’y a aucune limite au temps de jonglage. Toute faute ( de main, de pénétration dans le camp adverse, etc. ) est sanctionnée par un « penò » ( penalty ). Le joueur fautif se met derrière son cercle tandis que l’autre se poste derrière la ligne médiane, le Pilo en équilibre sur le pied et prêt à tirer. Au signal, ce dernier tente d’envoyer le Pilo dans le cercle tandis que l’autre essaie d’intercepter. Les parties se jouent en dix points. A la mi-temps du jeu, on change de camp pour tenir compte de certaines inégalités dues à la configuration du terrain où à la maladresse des joueurs à dessiner des cercles de même dimension.

 

Le Pilo à quatre.

Les parties à deux contre deux sont les plus spectaculaires car elles donnent lieu à des échanges plus engagés et nécessitants plus de technique, de dextérité de la part des participants ( passes, reprises, duels attaquants / défenseurs, etc. ). Le but du jeu est de faire tomber le Pilo dans l’un des deux cercles de l’équipe adverse.

Le Terrain.

On commence par tracer au sol deux lignes médianes perpendiculaires (en croix) de 4 à 5 mètres. Dans chacun des quatre camps ainsi délimités, on trace, à égale distance des deux lignes médianes (2 mètres), un cercle d’un mètre de diamètre, comme indiqué dans le schéma n°3.

 

 

 

Schéma n°2.

 

 

 

 

 

Schéma n°3.

 

 

            Les Camps.

Les partenaires se situent en diagonale. L’équipe A occupe l’espace en gris foncé et défend les cercles A1 et A2. Elle doit marquer dans les cercles B1 et B2. L’équipe B ( cercles B1 et B2 ) doit marquer dans les cercles A1 et A2 ( Se référer au schéma n°4 ).

 

 

Schéma n°4.

 

 

La Partie.

L’équipier A1 engage vers son partenaire A2 à la main. Ce dernier peut jongler sur place, se déplacer dans son camp, faire une passe à son équipier ou pénétrer dans le camp de l’équipe adverse, en direction soit de B1 soit de B2. Les joueurs peuvent intercepter le Pilo au vol dès que celui-ci est lancé en direction du but adverse ou d’un partenaire. L’équipe adverse à le droit de contrer le porteur du Pilo dès qu’il a franchi la limite de son camp. C’est le joueur du camp dans lequel est tombé le Pilo qui réengage à la main vers son partenaire. On change de camp après chaque but en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre. L’équipe qui a encaissé le but réengage.

            Les Fautes.

Toute faute ( de main, de charge excessive, etc. ) est sanctionnée, comme pour le Pilo à deux, par un penalty. En cas d’interception par le joueur défendant, la partie continue comme lors d’une remise en jeu normale.

Le Rebond.

Historiquement, dès que le Pilo touchait terre, il devait être réengagé à la main. Actuellement, le rebond est accepté dans certains tournois pour accélérer le jeu.

 

Le Pilo n’étant pas, pour l’instant du moins, un sport olympique, quelques variantes existent dans les règlements des diverses manifestations. Le règlement « officiel » de la Fédération Niçoise de Pilo[6] ( F.N.P. ), organisatrice des premiers « Championnats du Monde de Pilo », comporte certaines précisions concernant les dimensions du terrain, la fabrication du Pilo, les temps de jeu, etc. De la même façon, le Pilo n’est pas un sport figé comme un match de football ou une partie de tennis et peut ainsi se jouer de multiples manières et dans des lieux les plus divers ; en voici deux exemples :

 

Le Pilo-but.

Un but de la taille de celui de handball est utilisé. Ce but est le plus souvent dessiné directement sur un mur à la craie. Une zone neutre de 4 mètres de diamètre ( environ 4 grands pas ) entoure ce but. Les joueurs doivent marquer dans ce but sans pénétrer dans la zone neutre ( Schéma n°5 ).

 

 

Schéma n°5.

 

Le tennis-Pilo.

Le terrain est constitué de deux espaces de 4 mètres sur 4. Au milieu, on dispose un filet d’un mètre de haut. On utilisait les bancs des squares publics dans les années soixante. La partie se joue avec deux ou trois joueurs de chaque côté en général. Le but du jeu est de faire tomber le Pilo dans le camp adverse. Les joueurs peuvent jongler ou se faire des passes autant de fois qu’ils le souhaitent. On sert à la main en direction de l’équipe adverse. Une variante sans filet existe. Il suffit de mettre en place une zone neutre de 1 mètre dans chaque camp ( Schéma n°6 ). Les joueurs ne peuvent pénétrer ou tirer dans cette zone.

 

Ainsi, le Pilo a su se moderniser, s’adapter à de nouvelles conceptions, ceci par l’intégration de règles nouvelles, plus proches des attentes des joueurs d’aujourd’hui. On observe un aspect plus compétitif, d’opposition sportive alors propice à l’exploit, au dépassement de soi. De plus, le Pilo apparaît comme un jeu « polymorphe », sa pratique pouvant prendre diverses formes suivant les préférences ou l’envie des pratiquants. Il est alors susceptible d’intéresser un plus grand nombre d’individus.

 

 

 

Schéma n°6.

 

 

1.3 / Les jeux proches.

 

Le Pilo, n’en déplaise aux niçois, est original mais pas unique. Comme toute activité humaine, il s’inscrit dans une filiation qui est ici très ancienne. Des variantes plus ou moins lointaines existent de par le monde. Ces jeux sont très proches du Pilo de par leur construction ( idée du volant ), leur pratique, ou les deux.

 

Les jeux de pièces trouées.

Certains de ces jeux sont quasi identiques. Des jeux à base de pièce trouée se rencontrent sur tout le pourtour méditerranéen. En Corse, en Catalogne, en Algérie, en Tunisie et même au Liban, des jeunes se sont lancés différentes sortes de Pilos sur les places publiques ou dans les cours d’écoles. Leur nom a varié suivant les lieux ou les époques. Dans les années cinquante et soixante, on l’appelle la « Rizza », la ligne, en Corse, le « Sfolet » à Alger, le « Dagau » à Marseille, la « Volante » à Bône ( aujourd’hui Annaba, en Algérie ) ou encore le « Pitchack » à Oran. Le volant présente certaines variations suivant ce que l’on pouvait trouver comme papier. On utilisait selon les cas du papier transparent, du papier de boucher ou même du papier carbone. A Bône, le papier crépon de différentes couleurs était employé. Pour alourdir la pièce et mieux fixer le papier, un écrou était disposé au dessus de celle-ci.

 

Les autres Pilos.

Dans bien d’autres pays du monde on joue avec une pièce de monnaie trouée surmontée d’un volant en papier. Les premiers à l’avoir fait sont les chinois. Au siècle dernier, les enfants de Taïwan se lançaient de tels objets. L’origine est certainement beaucoup plus ancienne. La tradition chinoise a toujours présenté des jeux identiques, très antérieurs, réalisés à partir de rondelles de métal un peu lourdes. Parfois plusieurs rondelles étaient superposées. L’un d’entre eux est nommé le « Chien-tze ». Ces jeux figuraient alors l’âme extérieure des joueurs, soucieuse de s’élever mais retenue par le poids de l’enveloppe corporelle ( la pièce ).

En Corée, on utilisait des rondelles ou des petites masses de plomb en lieu et place des pièces. Ce jeu était appelé le « Jay-gee ». Tous ces jeux ont en commun qu’on y joue seulement avec les pieds, les genoux, la poitrine et la tête ; mains et bras sont interdits.

L’usage des pièces ou de rondelles métalliques est en fait d’origine récente, tout juste un siècle. Dans des temps plus reculés, d’autres matériaux ont été employés à la place soit de la pièce, soit du papier. Par exemple, au Vietnam, le « Dang-Dao »[7] est fait très souvent avec de la peau de banane pliée et séchée. En Inde, le « Prona » est très proche. Au Cambodge, le Pilo local est préparé avec des morceaux de vessie de porc séchée. Des plumes de pigeons les transpercent en leur centre, le tout est cousu finement. Au Vietnam, le « Cau  » est fabriqué à partir de vertèbres de poissons montées les unes dans les autres. Des plumes servent alors de volant. Le tout est très élastique, le volant peut voler plus haut. Aujourd’hui les vertèbres de poisson ont été remplacées par des rondelles en plastique. Notons que certains de ces jeux restent encore pratiqués de nos jours.

 

Les volants.

Les plus anciens volants que l’on connaisse et qui se jouent au pied sont réalisés à partir d’une balle munie d’un panache. La balle peut être en liège comme en Chine, en rotin comme en Thaïlande, en caoutchouc comme au Vietnam ou chez les Aztèques. Le volant peut parfois disparaître totalement, mais le jeu d’adresse et de jonglage est conservé. On trouve cette variante chez le « Pitchack »[8] de deuxième génération tel qu’il se jouait en Algérie à la fin des années soixante. La balle était constituée de lanières de caoutchouc entrelacées. Ce jeu a d’ailleurs été importé sur la Côte d’Azur avec le retour des pieds-noirs en 1962. Il s’est développé jusqu’en 1965 dans la région d’Antibes et Cannes. Il en est de même pour le « Tlachtli » tel qu’il se joue encore dans certaines régions du Mexique. En Amérique du Nord, les enfants indiens remplissaient de petites balles, faites de peau de daim, avec du sable, des cailloux ou des petites graines. Ils l’appelaient le « Poona » dans ce qui est devenu les Etats-Unis ou le « Hacky Sack » au Québec et dans l’Ontario de langue française. En Pologne, le petit sac pouvait contenir des petits poids de plomb. Il était souvent orné d’un pompon en laine. Les enfants le nommaient « Zoshka », Sophie. De leur rencontre aux Etats-Unis dans les milieux de l’immigration est né le « Foot-bag »[9]. Aujourd’hui, c’est un jeu très populaire et en voie de développement. Il se joue avec un petit sac de laine ou de coton tressé rempli de petits cailloux ou de graines d’haricot. Il nous revient actuellement en Europe et était présenté en démonstration à l’exposition universelle de Séville en 1992 dans le stand des Etats-Unis.

 

Aussi, si le Pilo représente une des spécificités de l’identité niçoise, il connaît de nombreux jeux similaires de par le monde. Ce fait, au delà de la pure coïncidence, représente une ouverture possible de la culture niçoise source d’échanges et de reconnaissance.

 

Le Pilo est donc un jeu populaire, ne nécessitant aucun équipement coûteux, une rondelle trouée, un bout de papier et un morceau de craie. Ainsi, il est accessible à tous et présente en plus de nombreuses possibilités de jeu, seul ou à plusieurs, avec un terrain ou sans, etc. Ceci traduit dors et déjà un fort potentiel de sensibilisation du jeu en lui-même, ceci pour un public nombreux et très hétéroclite. Il apparaît maintenant important de savoir pourquoi ce jeu est qualifié de traditionnel, ceci par une analyse de son passé, de son histoire propre.

 

 

2 / Historique.

 

 

L’aspect traditionnel de ce jeu est une condition « sine qua non » de la sensibilisation à la culture niçoise, comme source de la mémoire collective régionale. Les représentations qu’il suscite, les valeurs culturelles qui lui sont attribuées proviennent d’une histoire exclusivement liée au comté niçois.

 

2.1 / La légende du Pilo.

 

Il existe à Nice une légende concernant les origines du Pilo. L’apparition de l’ancêtre de ce jeu en Occident remonterait à l’époque du retour de Marco Polo de Chine ( aux environs de 1295 ) ; c’est un de ses marins vénitiens qui s’empara du jeu chinois[10]. Plus tard, lors d’une escale à Nice, il effectua une démonstration et ce jeu fut très vite adopté, chacun essayant de reproduire tant bien que mal ce « volant » avec les matériaux disponibles.

Cette légende est appuyée par les plus vieux documents écrits retrouvés. En effet, les jeux de volant et de jonglage sont des pratiques très anciennes ; celui par lequel des personnes se lancent une petite boule munie d’un panache, le plus souvent constitué de plumes, se rencontre déjà vers l’an 1000 avant Jésus-Christ en Asie. Plusieurs vieux textes chinois en attestent : il est recommandé pour développer l’exercice et l’adresse[11]. Au Japon, il fait partie de l’entraînement militaire : ce jeu devait aiguiser les habilités physiques du soldat. En Corée, les marchands s’y adonnent chaque matin car cela réveille le corps endormi et les réchauffe lorsqu’il fait froid. Au XIXème siècle, ce jeu est toujours pratiqué sur les quais des ports de Chine. A l’autre « bout du monde », comme on dit à Nice, on a découvert des figures de jeu de balle qui s’apparentent au Pilo dans la ville de Tlatilco, en Amérique du Sud. Cette ville existait déjà 1500 ans avant Jésus-Christ. Les joueurs s’envoient mutuellement une balle et celle-ci ne doit jamais ni tomber à terre, ni être attrapée à la main. Ils peuvent seulement jongler avec elle. Ce jeu semble en fait pratiqué dans tout le continent. Différentes parties du corps sont utilisées suivant les régions. En Amérique du Sud, la balle ne pouvait être touchée qu’avec les hanches, le dos, les épaules, les genoux. Les pieds étaient rigoureusement interdits. En Amérique Centrale, seul l’arrière du pied est autorisé ainsi que les hanches, les genoux et les coudes. Dans d’autres lieux, tout est permis excepté les mains et les bras. Ce jeu nous est parvenu sous le nom de « Tlachtli ». Il fut rapporté en Europe en 1520 par Hernan Cortès qui en fera une démonstration à la cour de Charles Quint.

Ainsi, l’idée de jouer au Pilo à Nice viendrait-elle de la rencontre de ces divers mondes ? A vrai dire, il n’y a pas de vérification juste, précise et objective sur l’origine du Pilo ; l’inventeur ne s’est pas fait connaître, aucun brevet n’est déposé à l’I.N.P.I. ( Institut National de la Protection Industrielle ) et aucun document ni coupure de presse de l’époque ne semblent traiter la question. On ne peut qu’imaginer certaines influences de ces jeux du monde au cours des siècles.

Quoi qu’il en soit, c’est pendant la seconde guerre mondiale que le Pilo trouve à Nice un réel essor, s’affirmant comme le jeu populaire niçois, ceci grâce à sa simplicité, autant dans sa conception que dans sa pratique. En effet, c’est en 1942, le 15 Février plus précisément, que les pièces trouées de 25 centimes sont démonétisées et que les plus jeunes en trouvent ainsi à profusion dans les tiroirs des grands-mères. Notons que cette pièce de 25 centimes fut gravée en 1913 par Edmond-Emile Lindauer ( 1869-1942 ). Aussi, à la fin de la guerre, le jeu est-il bien installé à Nice, les jeunes et les moins jeunes le pratiquant dans tous les quartiers populaires du comté ( le jeu restant typiquement relié à l’identité de l’ancien comté ; il n’est pas pratiqué de l’autre côté du Var ).

 

Ainsi, si la forme actuelle du Pilo est assez récente, liée à l’apparition des pièces trouées en 1913, sa pratique est très ancienne dans le comté niçois. Il est né et s’est développé au sein d’une culture traditionnelle encore vivace.

 

2.2 / La grande vogue.

 

Durant la fin des années quarante, le jeu est en pleine expansion. Sa grande vogue durera 15 ans : de 1950 à 1965. On y joue seul ou à plusieurs. On fait même quelques tournois locaux, jamais rien d’officiel. C’est à cette même époque que des règles sont définies de façon assez grossière. La pratique la plus prisée est celle des quatre ronds, à deux contre deux. C’est dans les quartiers populaires qu’on y joue le plus. A Nice, les jeunes s’échangent le Pilo principalement dans le Vieux-Nice ( vieille ville ), sur le cours Saleya, sur l’esplanade du Paillon ou encore sur le port Lympia. Les places et les rues ne sont pas encore trop encombrées par les voitures et presque toutes sont couvertes de ronds rapidement tracés à la craie. Sur la rive gauche du Paillon, rue Barla, place Arson, place Risso, quartiers Riquier et Saint Roch sont les lieux favoris. Sur la rive droite, c’est plutôt le Quinzième Corps, Pasteur ou plus vers la gare, les rues Trachel, Vernier, Saint Barthélemy, place Saint Maurice ou encore Saint Sylvestre. Plus loin, très loin du centre d’alors, on trouve quelques équipes dans le vallon de la Madeleine ou à la Californie[12].

Pour les autres villes de la côte, c’est sur le port et dans la vieille cité qu’on y joue le plus souvent. Dans l’arrière-pays, c’est toujours la place du village qui sert de terrain, quand les joueurs de pétanque ne sont pas encore à pied d’œuvre. Mais on n’hésite pas à le pratiquer directement sur la route départementale. Il suffit de laisser passer de temps à autre les quelques rares voitures.

La répartition du jeu dans le département est très surprenante. On ne joue au Pilo que dans les limites du comté de Nice. On y déborde très peu : quelquefois à Saint Laurent du Var, un peu à Saint Jeannet et à Gattières. Mais ce village, bien que sur la rive droite du Var, a très longtemps appartenu au comté. Ce jeu disparaît de même dès que l’on passe la frontière en direction de l’Italie. On lui préfère le jeu de ballon au poing. En fait, on y joue surtout dans la zone littorale. Au nord, le Pilo remonte seulement à Contes, à Coaraze et à Duranus. Les jeunes de la zone montagnarde n’y ont pas joué. L’argent, même démonétisé, y était-il plus rare ?

On y joue surtout en attendant d’entrer à l’école publique ou rapidement à sa sortie. On le pratique également dans les patronages religieux le jeudi avant le catéchisme ou le dimanche après la messe. Quelques rares écoles acceptent même que le Pilo soit pratiqué dans la cour de récréation. Mais le grand lycée de Nice, le lycée Masséna, s’y oppose ; un règlement est énoncé pour l’interdire.

Pendant les années soixante, la raréfaction des pièces trouées et leur vente uniquement dans les brocantes ont entraîné le déclin de ce jeu. Ainsi, de 1965 jusqu’à la fin des années 1980, le Pilo disparaissait des rues et ruelles niçoises. Les jeunes lui trouve alors un jeu de substitution, le Pitchack, utilisant quasiment les mêmes règles mais demeurant moins populaire.

 

Le Pilo s’est ainsi développé dans les limites du comté, apparaissant de ce fait étroitement lié à l’identité niçoise. En effet, il n’a jamais évolué loin de son espace traditionnel, ne connaissant aucune réelle influence extérieure.

 

2.3 / La renaissance.

 

Pendant presque vingt ans, le Pilo restera confidentiel. On pouvait en trouver abandonné sur un vieux poste de télévision ou sur le rebord d’une cheminée. Quelques-uns s’y essayaient subrepticement quand par hasard ils retrouvaient une pièce dans le fond d’un tiroir. Il faudra attendre 1987 pour que le Pilo ait à nouveau droit de cité. Ceux qui y jouaient atteignent alors la quarantaine, voire la cinquantaine. La nostalgie est là. Ils se rencontrent à nouveau, ils commencent à parler de leur jeunesse. Certains en parlent à leurs enfants. Parmi les jeux possibles à leur proposer, pourquoi pas le Pilo ?

L’envie de faire renaître la pratique du Pilo germe chez quelques défenseurs de Nice et de son identité. Ils se nomment Richard LAZZARI et Stéphane JANIK très vite suivis de Glaudo Nesci, Jànluc Sauvaigo, Guy Pelhon et bien d’autres. Ils ont l’occasion de se rencontrer à Nice chez l’éditeur Alain Amiel, « Z’Editions », ou à Coaraze où d’autres « patriotes » du comté, dont le poète Alain Pelhon, vivent alors. L’idée d’un premier tournoi est lancé le 14 juillet 1987. Il se déroulera à côté du théâtre de l’Alphabet, avenue des Diables Bleus, organisé par Jànluc Sauvaigo et Claude Nesci. A nouveau, Jànluc Sauvaigo en sera le chantre avec sa revue La Ratapinhata, diffusée à l’intention d’un public local qui commence à reparler sérieusement du Pilo. Alain Corrièras, avec Alain Amiel, préparent le « Guid’Art », un guide qui présente les galeries d’art contemporain de la côte. Le Pilo a déjà ses adeptes chez certains artistes de l’Ecole de Nice : Jean Mas, Ben ou Pedinielli.

L’été 1987 est aussi un moment important pour le Pilo. Tout se passe à Coaraze, un village très vivant, où règne un esprit de groupe. Il y est organisé les premiers « Championnats du Monde de Pilo », ce nom ayant été choisi pour ne pas se prendre trop au sérieux. Depuis, ce tournoi est organisé chaque année, au début du mois de juillet. Une nouvelle génération de joueurs est née ; des équipes de tout le comté ( Nice, Villefranche, Berre, Contes, etc. ) et même des niçois expatriés se déplacent spécialement pour y participer. A côté de ce must, d’autres tournois, d’autres démonstrations sont désormais mis en place chaque année. Citons celui de la Place Saint Roch organisé par le groupe ZouMaï, celui de Villefranche ou les présentations de Duranus, à l’occasion de sa fête du printemps.

C’est dans ce contexte de revendication culturelle, de défense du patrimoine niçois que le Pilo a effectué une lente réapparition, s’étant par là même imprégné de cette envie de renouer avec les valeurs traditionnelles locales.

Plus intéressant à noter est la reprise du Pilo en tant qu’activité de rue. Depuis 1994, on peut observer des étudiants jouant autour de la Faculté des Sciences. Quelques jeunes commencent également à s’y adonner le dimanche sur la Promenade des Anglais. Cet aspect « instinctif » du jeu est une des bases de la survie du Pilo dans la région niçoise, et c’est à cela que ses défenseurs travaillent.

Ainsi, le Pilo apparaît bien, de par un passé étroitement lié à l’histoire du comté niçois, comme un jeu traditionnel, les habitants « de souche » ou « d’adoption » reconnaissant en lui un sport emblématique de l’âme de leur pays. Plus encore, le Pilo semble être considéré aujourd’hui comme l’un des derniers moyens encore vivace de préservation et de défense du patrimoine niçois. Aussi, sa résurgence est étroitement liée à un mouvement de revendication culturelle, ce qui lui procure un certain dynamisme.

 

 

3 / Le Pilo, un jeu Niçois.

 

 

Si le Pilo apparaît comme un jeu traditionnel, il convient ici de mieux cerner et comprendre cette culture niçoise où il a évolué. Celle-ci possède en effet des spécificités propres et repose sur une véritable communauté culturelle. Enfin, en vue d’une utilisation de ce jeu, il s’agit de savoir dans quelle mesure il est porteur des valeurs culturelles niçoises et par quelles composantes il apparaît susceptible de transmettre ces valeurs.

 

3.1 / « Nissa La Bella », état des lieux.

 

Autrefois terre ingrate, comment ne pas évoquer aujourd'hui les charmes du climat, la beauté du paysage, la saisissante chute de la montagne dans la mer, la luxuriance de la végétation, le berceau de collines dans lequel la ville naquit et prospéra depuis vingt-cinq siècles. Cependant, cette vision et cette identité azuréenne imposée contribuèrent souvent à voiler la spécificité de Nice et de son arrière-pays. En effet, Nice n'est pas seulement une carte postale aux couleurs criardes ou le refrain trop ressassé d'une chanson de carnaval. Elle possède son art de vivre, une identité culturelle propre : le climat, le sol, la mer, le couvert végétal, l'économie, les couches ethniques, l’art culinaire, l'histoire ont ici interagit pour signer un réel art de vivre.

En fait, Nice c'est d'abord l'acropole, « Lou Castèu » ( le Château ) protecteur historique des vieilles rues fraîches et du sonore dialecte de Langue d'Oc qui crée l'originalité. Son ÂME est ici, alors que l'urbanisation effrénée monte à l'assaut des collines avoisinantes, dégradant la beauté naturelle du paysage. Cette âme Niçoise est subtile et si on a la joie de la comprendre, elle vous le rend au centuple. Elle se fonde sur la symbiose d'un peuple avec son milieu, sur la simplicité des mœurs, la sobriété générale, une joie teintée de nostalgie, la fête, la raillerie, l'humour. Jànluc Sauvaigo parle dans la préface des « Contes du Vieux-Nice » de Serge Dotti[13] d'une société nissarde aliénée, pour ne pas dire jobarde, avec « l'absurde et le dérisoire de l'univers » ( fatalisme du Sud oblige ! ). « Alliance tranquille de la blague et du malheur », cette âme est aujourd'hui en danger car ses derniers remparts sont en train de tomber, de s'effondrer sous les assauts continus et répétés de la tyrannie technique et industrielle, de la modernité. La demande de terrains à bâtir est telle que l'urbanisme gravit les collines, couvre les crêtes, surplombe les vallons. Ce qui fut naguère et encore récemment paysage naturel en pays niçois : oliviers, bastide recuite, tuiles rondes, chemins pierreux et herbes à violettes, est devenu rarissime. Le poète Stephen Liégeard qui baptisa ce pays du nom de « Côte d'Azur » en 1887 avait-il un pressentiment ? En effet, de son temps, cela ne voulait pas dire grand chose alors qu'aujourd'hui seuls le ciel et la mer sont restés immuables. Les piliers rustiques soutenant la vigne en Laupia, les oliviers, les murs de pierres sèches, les terrasses et les moulins à huile ont été chassés par les palmiers, les gazons et les façades de béton style californien. Pour retrouver un paysage niçois quasi-intact, il convient d'aller à la découverte de l'arrière-pays niçois, protégé, en quelque sorte, par un relief peu propice et des accès encore difficiles.

De la même manière, le « Nissart » ( le Niçois ), dialecte local, est menacé, lui qui représente un des caractères fondamentaux de cette communauté. Il est séduisant pour quelqu'un qui connaît quelque peu le passé et la situation géographique de la ville de Nice, de supposer que le langage qu'on y pratique s'apparente peu ou prou à quelque chose qui ressemble à l'Italien. Historiquement, cette assertion pourrait évidemment sembler avoir quelques fondements, mais dans la réalité des faits, il n'en est rien. On ne parle pas moins de sept langues régionales actuellement sur le territoire national. À savoir : le Flamand, l'Alsacien, le Breton, le Basque, le Catalan, le Corse et l'Occitan, ce dernier terme désignant l'ensemble des dialectes issus de la vieille « langue d'Oc médiévale ». Le Niçois - le « Nissart » - est l'un d'entre eux ; il est étroitement apparenté au Provençal et au Languedocien, dialectes constituant ce que les spécialistes désignent sous le nom d' « Occitan moyen ». D'une manière générale, le niçois est considéré par les spécialistes comme un dialecte très conservateur - par rapport à la langue médiévale - tant dans son consonantisme que dans son vocalisme. Ce fait n'a en soi rien d'étonnant compte tenu du fait de son évolution très particulière, hors d'atteinte de l'influence du français qui a si profondément modifié le provençal voisin. L'influence de l'Italien est, elle aussi, à peu près nulle et se borne à quelques emprunts lexicaux. L'Occitan à Nice, sous la forme dialectale particulière qu'il y revêt, a été la seule langue connue et pratiquée par la population indigène jusqu'au début du XXème siècle.

 Actuellement, les jeunes générations le comprennent mais ne le parlent pratiquement plus, résultat, comme le dit André Compan dans « Histoire de Nice et de son Comté »[14], d'une « impitoyable chasse aux sorcières qui, depuis un siècle et demi, s'acharne à détruire notre langue d'Oc naturelle ». Ainsi, c'est toute une tradition orale, source de la mémoire collective des Niçois, qui s'estompe peu à peu. Trop de jeunes niçois n'ont pas eu la chance et le plaisir d'écouter, de comprendre et de vivre les histoires de leurs aînés, des anciens, moyen important de transmission du patrimoine. Certes, le Français ( la langue ) traduit la plupart des idées mais il ne demeure toutefois qu'un substitut en ce qui concerne les valeurs niçoises fondamentales. La langue, le langage apparaissent en effet comme le reflet d'une culture à un moment et dans un lieu donné, s'imprégnant nécessairement des différentes valeurs de celle-ci. Le Français ne traduit alors qu'approximativement la pensée niçoise ; une histoire locale racontée en français perd de sa saveur, de sa portée, de sa raison d'être.

Que dire également des fêtes traditionnelles ? Celles-ci étaient partie intégrante et privilégiée du calendrier et participaient autrefois à la scansion du temps, au renforcement des liens, à la régulation des relations sociales. On pense alors au « Festin des Cougourdons », qui a lieu à l'occasion du Pèlerinage de l'Annonciation ( en Mars ) et où l'on trouve exposé une multitude de Cougourdons décorés et enluminés ( coloquintes et autres calebasses de formes et tailles variées ), ou encore à « La Fête des Mai », fête du printemps et du renouveau accompli de la Nature. Malheureusement, elles ont aujourd'hui perdu de leur charme, de leur âme et de leur réelle fonction sociale. L'exemple le plus marquant est celui du Carnaval de Nice, aujourd'hui de renommée mondiale de par ses corsos toujours plus grands et ses batailles de fleurs encadrées, organisées, qui d'une fête traditionnelle s'est transformé en spectacle.

Ainsi, cette communauté niçoise est en péril. Toutefois, elle n'a pas encore disparue. En effet, une partie de la population niçoise, certes minoritaire, a décidé , a ressenti un besoin certain de lutter pour cette identité, cette culture, preuve d'un attachement à ses valeurs. Pour ces Niçois de cœur et d'âme, ce véritable art de vivre ne doit pas seulement subsister mais être reconnu, respecté, en quelque sorte réhabilité. Ces diverses revendications d'ordre culturel ne peuvent toutefois pas être assimilées, à Nice, comme des mouvements d'indépendance vis à vis du système actuel comme cela apparaît dans certaine régions telles la Corse ou le Pays-Basque. Les moyens de « lutte » privilégiés à Nice sont d'ordre artistique ; ainsi, de nombreux artistes ( peintres, sculpteurs, musiciens, poètes, conteurs, etc. ) et diverses associations œuvrent pour redonner vie, dynamisme aux valeurs en perdition ( dialecte, coutumes, fêtes traditionnelles, aspect culinaire mais également état d'esprit, ambiance, atmosphère, etc. ). Le but premier des manifestations mises en place est le plus souvent de donner les moyens et la place à cette culture de s'exprimer, ceux-ci étant de plus en plus rares. Nous pouvons alors citer quelques uns des acteurs de cette vague de revendication niçoise : le groupe de « ragga-niçois » Nux-Vomica, la chorale traditionnelle Lo Corou de Berra, l’association Zou-Maï, ainsi que Ben, Serge Dotti, Jànluc Sauvaigo, et bien d’autres. Notons que certains contribuent à perpétuer cette culture niçoise sans réellement lutter ou revendiquer mais de par leur façon de vivre, de penser, d'être, tout simplement... Ne les dérangeons pas.

 

Le Pilo est né et s’est développé au sein de cette culture niçoise mais est-il pour autant porteur de ses valeurs, de ses particularismes ? Cet attribut apparaît en effet indispensable en vue d’une quelconque sensibilisation à la spécificité niçoise.

 

3.2 / Lo pilo, un jeu Niçois.

 

Bertrand During, dans son ouvrage « Des jeux aux sports »[15], nous dit que : « les jeux, les sports ne se développent pas isolément et leur histoire ne peut s’envisager comme indépendante, même si elle témoigne de leur spécificité ». Pour lui, le travail, les conceptions et pratiques de l’éducation, les divertissements, l’infrastructure économique et technique, les relations sociales et bien d’autres facteurs propres à chaque société, communauté sont présents et interagissent lors de la mise en place ou l’évolution d’un jeu. Le jeu véhicule des représentations du corps, de l’exercice, de l’effort, de l’enfant, de l’autorité parentale, par exemple, qui correspondent à son temps, au contexte social, culturel, économique dans lequel il évolue.

Suivant la même idée, J.Defrance explique dans son ouvrage « La fortification des corps »[16], que les jeux, les sports, ne doivent leurs formes diverses qu’à la diversité des groupes sociaux qui les inventent et les développent ainsi qu’à la dynamique distinctive de ces groupes. Cette gratuité, cette non-détermination par un effet utile, précis et délibérément recherché des jeux laisse le champ complètement libre à l’action des déterminismes sociaux. Il existe alors entre les jeux, les mœurs et les institutions des rapports étroits de compensation ou de connivence. Les jeux sont largement dépendants des cultures où ils sont pratiqués ; ils en accusent les préférences, ils en prolongent les usages, ils en reflètent les croyances.

Le Pilo, par son apparition et son développement au sein d’une culture niçoise traditionnelle encore vivace, est donc porteur des différentes valeurs de cette société. Il est ancré dans la mémoire collective des niçois, les anciens en témoignent, et s’est naturellement imprégné au fil des années et des parties de la culture, de l’atmosphère locale jusqu’à devenir cette actuelle source d’amusement, de plaisir, de joie, de fête, de simplicité et de dérision.

De plus, la renaissance du Pilo est liée à l’initiative de quelques nostalgiques niçois désireux de marquer, de revendiquer leur appartenance culturelle. Ce jeu s’est ainsi enrichi de nouvelles valeurs liées à un contexte idéologique, social, économique différent de celui de ses débuts. Il représente aujourd’hui, en plus du simple jeu populaire, un moyen de défense de la culture traditionnelle niçoise, permettant de renouer avec l’art de vivre de cette communauté. Cette idée de « lutte », de revendication culturelle est source de dynamisme pour le développement du Pilo et apparaît fédératrice. Aussi, ce sont plusieurs associations qui oeuvrent et s’appuient actuellement sur ce « concept Pilo » : l’association « Avanti ! », de Coaraze, « ZouMaï » du quartier Saint-Roch et « Testa d’Or » située à Villefranche, dans les environs de Nice.

 

Le Pilo semble donc posséder des valeurs intrinsèques liées à la culture traditionnelle niçoise. Toutefois, pour permettre une sensibilisation à ce patrimoine régional, le Pilo doit également posséder la capacité de les transmettre, de les promouvoir. Une analyse plus précise de ses fonctions semble répondre à cette question.

 

3.3 / Analyse du jeu.

 

Le Pilo, de par sa pratique et ses origines, peut être classé dans la catégorie des jeux, ceci sous-entendant de nombreuses spécificités. À ce sujet, sur la base d'un premier travail de J.Huizinga[17], recteur de l'université de Leyde, Roger Caillois, dans « Les Jeux et les Hommes »[18], tente de définir plus précisément le jeu. Il apparaît alors comme une activité :

 

            1 - libre : à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux.

 

            2 - séparée : circonscrite dans des limites d'espace et de temps précises et fixées à l'avance.

 

            3 - incertaine : dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement, une certaine latitude dans la nécessité d'inventer étant obligatoirement laissée à l'initiative du joueur.

 

            4 - improductive : ne créant ni biens, ni richesse, ni élément nouveau d'aucune sorte, et, sauf déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie.

 

            5 - réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle qui seule compte.

 

            6 - fictive : accompagnée d'une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante.

 

 

Ainsi, le Pilo répond de façon générale à cette définition :

 

            1 - c'est un loisir, source de divertissement, de délassement, où chacun est libre de jouer ou non, suivant son bon vouloir.

 

            2 - ce jeu est pratiqué dans un temps libre, un temps de repos, de loisir. Plus précisément, le Pilo se joue aujourd'hui sur un terrain spécial, pendant une durée déterminée [19] .

 

            3 - l'issue de la partie dépend de la qualité des joueurs, de leur motivation, parfois d'un peu de chance...

 

            4 - la victoire ou la défaite ne provoquent qu'un plaisir ou désagrément éphémère, n'ont aucune conséquence sur la richesse, la situation sociale des joueurs.

 

            5 - le Pilo possède des règles du jeu précises, qui lui sont propres et qui ne peuvent être appliquées dans un autre cadre que celui de ce jeu.

 

            6 - les joueurs doivent avoir conscience que le Pilo repose sur le plaisir de progresser, de franchir des obstacles mais des obstacles arbitraires, presque fictifs, établis à leur mesure et acceptés par eux car la réalité n'a pas de ces délicatesses.

 

            À ces qualités purement formelles s'ajoute le caractère formateur, éducateur des jeux car on peut dire que leur contribution au niveau de l'individu n'est pas moindre. En effet, les psychologues leur reconnaissent un rôle capital dans l'histoire de l'affirmation de soi chez l'enfant et dans la formation de son caractère. Les jeux, nombreux et variés, sont alors exercice et entraînement ; jeux de force, d'adresse, de calcul ou autre, ils rendent le corps plus vigoureux, plus souple, plus résistant, la vue plus perçante, le toucher plus subtil, l'esprit plus méthodique ou plus ingénieux... Chaque jeu aiguise, renforce quelque pouvoir physique ou intellectuel. Par le biais du plaisir et de l'obstination, il rend aisé ce qui fut d'abord difficile ou épuisant. Le Pilo semble posséder diverses fonctions, sources de formation, de développement, d'amélioration ou encore d'épanouissement de certaines qualités humaines. Celles-ci peuvent être réparties en deux catégories : les fonctions morales et les fonctions physiques.

 

Fonctions morales.

Le fait que le Pilo se joue généralement à plusieurs implique les notions de compagnie, de partage, de relation à Autrui ( esprit d'équipe, concurrence, etc.  ), ceci dans une ambiance agréable, de détente, propice à des échanges de qualité. Apprentissage ou développement de la vie en collectivité, le Pilo apparaît comme unificateur. On voit ici poindre la vocation sociale des jeux qui ont ainsi acquis droit de cité dans la vie collective, se sont insérés dans les mœurs quotidiennes. La part donnée à l'esthétisme et à la beauté est importante dans ce jeu et la création, l'invention, l'ingéniosité, l'improvisation y sont fortement sollicitées.

Un aspect primordial est alors « l'esprit du jeu », les joueurs devant avant tout faire primer le plaisir, l'amusement, le spectacle et ainsi offrir au Pilo son expression la plus noble, son envergure réelle, sa plénitude originelle. Être « fair-play », savoir accepter l'échec et savourer la victoire avec humilité, en respectant l'adversaire d'un moment, c'est à dire Autrui, c'est faire preuve de civisme, de citoyenneté. Le Pilo permet ici en quelque sorte de discipliner les instincts, de leur imposer une existence institutionnelle. Dans le moment où il leur accorde une satisfaction formelle et limitée, il les éduque, les fertilise et vaccine l'âme contre leur virulence.

Dans un second temps, il est primordial que les règles du jeu soient respectées. Celles-ci sont destinées à créer une égalité des chances artificielle pour que les antagonistes s'affrontent dans des conditions idéales, susceptibles de donner une valeur précise et incontestable au triomphe des vainqueurs. Tout jeu est un système de règles, de conventions arbitraires, impératives et sans appel, définissant le permis et le défendu. Aussi, rien ne maintient la règle que le plaisir de jouer, c'est à dire la volonté de la respecter ; c'est « jouer le jeu ». Le fait même de respecter les règles du jeu, de ne pas tricher, d'accepter et d'intérioriser celles-ci est source de socialisation, l'individu étant alors capable d'intégrer des codes, des lois et de ne pas les transgresser, ce qu'il est amené à réaliser dans sa vie sociale quotidienne.

Enfin, la compétition, la concurrence entraînent les notions de volonté, de motivation, d'obstination, de dépassement de soi, de courage... autant de valeurs susceptibles d'aider les individus à s'épanouir dans la société actuelle.

 

Fonctions physiques.

Le Pilo est un jeu de compétition que l'on peut qualifier de sportif vu sa pratique, les qualités qu'il requiert, ses règles. On pourra alors déceler des similitudes marquantes avec le football, notamment au niveau du jonglage, ce qui n'est pas sans rappeler que dans de nombreux cas, les jeux de compétition aboutissent aux sports. Ainsi, le Pilo nécessite et développe certaines facultés physiques bien précises que nous allons tenter ici d'énumérer :

 

            - l'endurance, la résistance du corps, une partie de Pilo nécessitant un effort physique intensif. Ainsi, une pratique régulière de ce jeu tend à rendre le corps plus vigoureux, plus fort.

 

            - l'adresse, l'habileté qui sont nécessaires pour jongler, le Pilo étant bien moins important d'un point de vue volumique qu'un ballon de football. Ainsi, ce jeu implique une bonne maîtrise ainsi qu'une coordination précise des membres ( jambes, bras, tête, etc. ). La gestuelle est primordiale au Pilo, elle est à l'origine de son aspect « spectacle »[20], les figures les plus difficiles à réaliser, telle la « reprise de volée », requérant équilibre et souplesse.

 

            - la précision, qui va de pair avec l'habileté et la maîtrise du corps. La taille des cercles tracés au sol ( environ 1 mètre de diamètre ) et dans lesquels doit atterrir le Pilo implique en effet une précision des plus fines.

 

            - une certaine acuité visuelle est nécessaire, vu la taille du Pilo ainsi que pour un jugement juste des distances et des vitesses.

 

            - les réflexes, qui sont très souvent sollicités au cours d'une partie, le volant étant souvent caché par les joueurs et apparaissant au dernier moment.

 

 

 

Annexes.

 

 

ANNEXE 1 : Les pièces trouées françaises ; 1914-1946.

 

 

ANNEXE 2 : Lo Pilo.

 

 

ANNEXE 3 : Les figures de Pilo.

 

 

ANNEXE 4 : Règlement Officiel de la F.N.P. ( Fédération Niçoise de Pilo ).

 

 

ANNEXE 5 : Le Dang-Dao.

 

 

ANNEXE 6 : Le Pitchack.

 

 

ANNEXE 7 : Le Footbag.

 

 

ANNEXE 8 : Le « Pilo » Chinois.

 

 

ANNEXE 9 : Répartition du jeu dans Nice.

 

 

ANNEXE 10 : Actions de Pilo.

 

 

 

 

 

ANNEXE 1

 

Les pièces trouées françaises. 1914-1946.

A partir de J. Mazard, Histoire monétaire et numismatique contemporaine, 1790-1967, tome 2, Paris, 1969.

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 2

 

« Lo Pilo ».

 

 

ANNEXE 3

 

Les principales figures de Pilo.

 


ANNEXE 4

 

Règlement officiel de la F.N.P. ( Fédération Niçoise de Pilo ).

 


ANNEXE 5

 

Le « Dang-Dao ».

 

 

ANNEXE 6

 

Le « Pitchack ».

 

  


ANNEXE 7

 

Le « Footbag ».

 

 

 


 

 

ANNEXE 8

 

Le « Pilo Chinois ».

 


ANNEXE 9

 

La répartition du jeu dans Nice.

 

 

ANNEXE 10

 

Actions de Pilo.

 






 



[1] BAQUIÉ Jean-Pierre, Les Anciens Jeux du Pays Niçois, éditions ADEC, Nice, 1988, page n°27.

[2] Se référer à l’annexe n°1.

[3] Se référer à l’annexe n°2.

[4] GIORDAN André et MARIA José, E Viva Lo Pilo ( Et Vive Le Pilou ), éditions Z’EDITIONS, Nice, 1998, page n°33,34.

[5] Se référer à l’annexe n°3.

[6] Se référer à l’annexe n°4.

[7] Se référer à l’annexe n°5.

[8] Se référer à l’annexe n°6.

[9] Se référer à l’annexe n°7.

[10] Se référer à l’annexe n°8.

[11] GRUNFELD Frédéric, Jeux du Monde, leur histoire, comment les construire, comment y jouer, éditions LIED, Genève, 1979, page n°54.

[12] Se référer à l’annexe n°9.

[13] DOTTI Serge, Contes du Vieux-Nice, éditions Z'EDITIONS, Nice, 1995, page n°3.

 

[14] André COMPAN, Histoire de Nice et de son Comté, éditions SERRE, Nice, 1989, page n°102.

[15] DURING Bertrand, Des Jeux aux Sports, éditions VIGOT, Paris, 1984, page n°46.

[16] DEFRANCE Jacques, La Fortification des Corps, Thèse, Presse Universitaire de Rennes, 1978.

[17] J. HUIZINGA, Homo Ludens, publié en 1938.

[18] CAILLOIS Roger, Les Jeux et les Hommes, éditions Gallimard, Paris, 1958, page n°29,30.

[19] Se référer à la partie I / 1.2 : Les règles du jeu.

[20] Se référer à l’annexe n°10.